Aspects du baroque italien

Deux musicographes, passionnés par l’Italie baroque, présentent la vie musicale dans les deux villes concurrentes Venise et Rome, entre 1600 et 1750.

Véronèse : Les Noces de Cana (Détail), 1562/63. Collection du Louvre / wikimedia commons

Dans un livre luxueux, au prix cependant tout à fait abordable, Olivier Lexa résume les différents aspects de la musique vénitienne du Seicento et de la première moitié du Settecento. La lecture est agrémentée de nombreuses et somptueuses reproductions – y-compris en pleine page ou sur deux pages – de fresques, tableaux, gravures, dessins, caricatures de chanteurs par Zanetti ou intérieurs de palazzi, autant de représentations de l’art d’Euterpe, si présent dans les beaux-arts vénitiens de cette période – certains peintres se révélant d’ailleurs eux-mêmes être de fins musiciens. Au fil des chapitres, le parcours dans la Sérénissime nous fait revivre la naissance de l’opéra, son ouverture au grand public, sa spectaculaire machinerie, les barcarolles, la musique sacrée, les ospedali, les liens avec l’Orient, la musique dans les synagogues, et bien d’autres thèmes encore. Alors qu’elle entamait son lent et inexorable déclin, Venise vécut une véritable floraison artistique, dans une totale liberté (y-compris de pensée) grâce en particulier à la séparation, unique alors en Europe, entre Eglise et Etat. Cette indépendance, vilipendée par Rome, permit l’éclosion d’un art profane purement instrumental (sonates, puis concertos), mais aussi de la cantate et de l’opéra. Ouvrir des théâtres lyriques au grand public participait de la volonté des oligarchies à la tête de la République de manifester leur opulence.

Image
Antonio Maria Zanetti : Caricature de Farinelli

La différence avec Rome était éclatante : dans la thalassocratie, les prêtres étaient autorisés à participer aux opéras, les couvents pouvaient en monter chez eux et les jeunes filles avaient l’autorisation de chanter à l’église, alors qu’à Rome les femmes se voyaient interdites non seulement de participer à la liturgie, mais aussi à l’opéra (les rôles féminins étaient tenus principalement par des castrats) et au théâtre – même les marionnettes féminines étaient bannies !

Image

Aucune illustration en revanche dans le livre consacré par Patrick Barbier à la Rome baroque, mais une narration détaillée et colorée de la vie musicale et artistique de la ville éternelle. S’appuyant sur des chroniques rédigées par des Romains de ce temps, des récits de voyageurs, des correspondances et des mémoires, l’auteur évoque également la ville et la société en une plongée passionnante dans la vie quotidienne de l’Urbs remodelée par Le Bernin et par Borromini, cité pleine de contrastes où régnaient l’absolutisme pontifical et le népotisme – la fortune d’une famille était assurée dès lors qu’un pape en était issu. Si certains Souverains Pontifes se montraient libéraux et encourageaient l’art (à commencer par Urbain VIII le poète et par Clément IX, qui fut librettiste d’opéra), d’autres affichaient une pieuse hostilité : le premier opéra public romain fut même démoli sous prétexte d’incitation au vice. La ville où naquit l’oratorio ne restait cependant pas insensible aux attraits du profane et du carnaval. Du reste, on savait s’accommoder avec plus ou moins d’hypocrisie : quand bien même les prélats étaient interdits de spectacle profane, ils y assistaient cependant, cachés derrières des grilles.

Par son faste, la théâtralisation de la foi, voulue par la Contre-Réforme, n’avait quelquefois rien à envier au plus éblouissant des spectacles. Si la chapelle pontificale restait figée dans le conservatisme palestrinien et s’en tenait à un répertoire restreint, la chapelle Giulia, qui animait la basilique Saint-Pierre, s’ouvrait à la musique baroque et à de spectaculaires spatialisations polychorales, dont en particulier un lointain « chœur d’anges » placé à la base de la coupole, 50 mètres au-dessus du sol. Les autres grandes églises et congrégations possédaient des effectifs plus réduits, mais qui pouvaient augmenter lors de fêtes importantes, jusqu’à atteindre des proportions monumentales (huit, dix, voire douze chœurs). Quant aux palais privés, ils n’étaient pas en reste, et la musique se trouvait à l’honneur tant auprès de l’extraordinaire et extravagante Christine de Suède que des cardinaux mécènes Pamphilj ou Ottoboni.

Image

Olivier Lexa, La Musique à Venise de Monteverdi à Vivaldi, 200 p., € 35.00, Actes Sud, Arles 2015, ISBN 978-2-330-05700-8

Patrick Barbier, Voyage dans la Rome baroque. Le Vatican, les princes et les fêtes musicales, 288 p., € 19.00, Grasset, Paris 2016, ISBN 978-2-246-80885-5

Cela peut également vous intéresser.