L’esprit de Fauré plus ou moins secret

Ivor Bolton dirige l’Orchestre symphonique de Bâle, solistes et chœur dans une interprétation de chants et suites pour orchestres.

Orchestre symphonique de Bâle. Photo : Benno Hunziker

En dépit de son titre en anglais, le CD The Secret Fauré propose une belle rétrospective d’œuvres fin-de-siècle, dont certaines moins connues, mais toutes fidèles à l’âme profondément française de Gabriel Fauré. L’authenticité semble être garantie avec la reproduction d’un paysage marin d’Eugène Boudin. L’interprétation de ce corpus est confiée à l’Orchestre symphonique de Bâle, sous la direction d’Ivor Bolton, au chœur féminin de Balthasar-Neumann et à deux solistes renommés, qui utilisent la récente édition critique de Bärenreiter pour Caligula, Shylock et Pénélope. Pourtant, malgré l’existence d’innombrables passages d’une grande beauté, il manque quelque chose d’essentiel dans cette interprétation de Fauré.

Si l’acoustique ultra-spacieuse du Goetheanum de Dornach apporte une sonorité aérienne et alléchante aux magnifiques soli de l’orchestre, elle gonfle en revanche les tutti et parasite la transparence. Si les ondes stationnaires de cette salle sont mieux maîtrisées techniquement que sur un récent CD de Beethoven, elles créent fréquemment une épaisseur qui masque les fines nuances de l’orchestration et qui défavorise la compréhension des textes, chantés par le chœur de femmes et les deux solistes. Il est vrai que la diction des consonnes ne semble pas être la préoccupation principale d’Olga Peretyatko, qui prononce le français à sa façon, tout en prenant plaisir aux envolées lyriques. La voix riche, bien articulée, du ténor Benjamin Bruns dans Shylock pose peu de problèmes. Avec une loupe pour lire les textes, imprimés petits dans le livret au bénéfice de photographies en doubles pages, l’on découvre la beauté des textes et des sept strophes que la soprano ne chante pas.

L’interprétation de Fauré nécessite la construction graduelle et inlassable d’une vision architecturale à long terme, où chaque phrase, longue ou courte, devrait préparer la suivante.  Sur ce CD, les œuvres orchestrales souffrent parfois d’une légère surinterprétation qui précipite l’attention dans l’immédiat, sans assez souder la structure et maintenir la respiration. De plus, le Caligula gagnerait en force, si l’on réduisait les pauses entre les mouvements, et Pelléas et Mélisande n’aurait nullement besoin de trois secondes de silence entre ses deux premières phrases ! Mieux que les mots, l’écoute de la version d’Ernest Ansermet, enregistrée avec le Prélude de Pénélope il y a cinquante-six ans (Decca/Eloquence), illustre instamment la sobriété naturelle que l’on retrouve également chez un Armin Jordan et toute une tradition de chefs français. Oui, si l’esprit de Fauré reste encore élusif, il n’est de loin pas secret…

The Secret Fauré. Orchestral Songs & Suites. Olga Peretyatko, Sopran; Benjamin Bruns, Tenor; Balthasar-Neumann-Chor; Sinfonieorchester Basel; Leitung Ivor Bolton. Sony classical 19075818582

The Secret Fauré II est également disponible : Sony Classical 19075936402
(Berceuse, Romance, Ballade, Élégie, Masques et Bergamasques, Pavane, Suite d’orchestre)

The Secret Fauré III est en préparation.

 

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