Contes de fée

Le clarinettiste François Benda interprète des pages romantiques de Schumann, Lehmann et Kurtág avec l’altiste Jürg Dähler et le pianiste Gilles Vonsatteln et il joue un programme de jazz avec son père.

Photo : Gerhard Hermes/pixelio.de

Le CD Fairy Tales Without Words offre une compilation d’œuvres avec alto de Robert Schumann, alternant avec celles écrites par Hans Ulrich Lehmann et György Kurtág sous l’influence de l’esprit du compositeur romantique. Ce choc de styles convainc pleinement grâce à trois artistes hors-pair en parfaite entente avec l’ingénieur du son qui fait preuve de haute fidélité, dans le sens noble du terme !

Grâce aux trois compositeurs, c’est l’alto qui tient le fils rouge ! Dans les Märchenbilder, l’on est séduit par la riche sonorité, « à couper du beurre », de Jürg Dähler et par sa capacité à raconter ses « Contes de Fée » avec la voix si humaine de son instrument. Si le tempo de l’altiste et de Gilles Vonsattel, son excellent pianiste, frappe par une lenteur inhabituelle dans le nicht schnell du premier mouvement, le mélomane se laisse charmer par la mélodie merveilleusement phrasée qui semble émaner de la bouche d’une belle raconteuse ! Mais le duo sait réveiller abruptement l’auditeur dans lebhaft ou même le terrifier de vitesse dans rasch ! Ainsi Dähler explique-t-il dans son dialogue avec Andreas Werner, preneur de son, que Schumann a d’abord  pensé intituler l’œuvre Violageschichten !

Pour le trio Märchenerzählungen, le talentueux clarinettiste François Benda rejoint nos deux musiciens. Dans cette composition écrite trois ans à peine avant sa mort, Schumann révèle, tout au long du troisième mouvement, mit zartem Ausdruck, ses pensées intimes, et quelque peu hallucinantes, dans des fausses relations d’harmonie. Ces moments émouvants sont dévoilés paisiblement, mais avec une conviction intérieure qui contraste nettement avec le panache de sehr markiert. Comme dans les quatre œuvres de ce CD, Gilles Vonsattel joue avec une clarté remarquable en s’accordant parfaitement avec ses collègues.

Commandé par Jürg Dähler suite à une collaboration étroite avec un compositeur triste de ne plus être à la mode, Without Words (2011) de Hans Ulrich Lehmann fut créé quatre mois après sa mort en 2013. Sa musique de vingt-six minutes est complexe, tantôt intense, tantôt ultra-intime, parfois d’une cruelle difficulté ; elle explore les limites d’effets d’avant-garde, mais non-électroniques, et ne récompense l’effort qu’avec insistance. L’idée de juxtaposer ce premier enregistrement mondial et de conclure le CD avec l’Hommage à R. Sch. de György Kurtág, musique au contraire concise et concentrée, est juste géniale. Incontestablement une réussite !

Fairy Tales Without Words: Werke von Robert Schumann, Hans Ulrich Lehmann und György Kurtág. Jürg Dähler, Violine, Viola; François Benda, Klarinette; Gilles Vonsattel, Klavier. Genuin GEN 17485

 

Nous avons apprécié François Benda dans Schumann et Kurtag. En 2001 déjà, ce musicien de tous les styles a enregistré un programme de jazz avec son père, Sebastian, pianiste de concert réputé, malheureusement décédé l’année d’après. C’est grâce à l’initiative de son fils et de la maison Genuin que ce CD a paru en 2017.

Ce qui séduit instamment, c’est l’extraordinaire symbiose entre père et fils  qui, ensemble, créent la musique comme un seul interprète en pleine improvisation ! Ce constat est d’autant plus étonnant que le piano est variablement éloigné de la clarinette, qui, elle, s’avère ultra-présente.  Quel échange ! Les deux osent se taquiner sans cesse dans Gershwin et Bernstein. Leur plaisir de liberté est encore le nôtre dans la Sonatina de Horowitz et la Hot Sonata de Schulhoff !

Ces deux CDs, Kind of Jazz et Fairy Tales Without Words, comme bien d’autres enregistrements du label Genuin, portent le sous-titre Artist Consort – une approche alternative au marketing d’aujourd’hui, soit le maintien d’un collectif d’artistes, ingénieurs du son et musiciens, qui assument leurs propres décisions dans le choix du répertoire et sur toute la ligne, loin du « fast food » de l’industrie discographique, trop souvent prédominant.

Kind of Jazz. Werke von George Gershwin, Joseph Horovitz, Erwin Schulhoff, Leonard Bernstein, Daniel Schnyder. François Benda, Klarinette; Sebastian Benda, Klavier. Genuin GEN 17465

 

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