Double votation sur l’AVS

Ce 3 mars, deux initiatives seront soumises au peuple et aux cantons (puisque la double majorité est requise). Elles reflètent deux visions opposées de la société : la première propose qu’une treizième rente AVS soit versée, à l’image d’un treizième salaire que peuvent recevoir les employés, tandis que la seconde veut relever l’âge de la retraite.

Oui à une 13e rente AVS

Lancée par l’Union syndicale suisse (USS), à laquelle l’USDAM est affiliée, la première se base sur les perspectives financières de la Confédération concernant l’AVS, qui réalisera ces prochaines années un excédent annuel d’environ 3 milliards de francs. Contrairement aux scénarios alarmistes répandus depuis des années par les milieux patronaux et certaines branches de l’économie, sa fortune augmentera à 67 milliards de francs d’ici la fin de la décennie, ce qui représente environ 20 milliards de plus qu’aujourd’hui. Par ailleurs, la disparition naturelle et progressive de la génération du baby-boom contribuera à stabiliser l’équilibre financier sur le long terme, comme l’avait souligné la conseillère nationale genevoise Laurence Fehlmann Rielle lors des débats aux Chambres fédérales en décembre 2022. En cette période où l’inflation conjuguée à la hausse des loyers et des primes des caisses maladie fait perdre aux retraités l’équivalent d’une rente mensuelle en 2024, cette 13^e rente apporterait sans aucun doute un soulagement aux retraités actuels et futurs. En effet, avec une moyenne mensuelle de 1800 francs environ, l’AVS réussit de moins en moins à remplir son mandat constitutionnel de couvrir les besoins vitaux. Pas moins de 200’000 retraitées et retraités vivent actuellement avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté, et 100’000 autres se trouvent juste en dessus de celui-ci. Les femmes sont spécialement concernées, car un tiers d’entre elles ne touchent que le premier pilier. L’acceptation de l’initiative de l’USS bénéficierait à 90 % des personnes professionnellement actives : dans l’AVS, toutes les classes de revenu participent et tout le monde profite d’améliorations directes des rentes, surtout les femmes. Pour elles, l’AVS est particulièrement importante, car elle tient compte du travail non rémunéré pour la fixation du niveau des rentes. Dans le contexte actuel, son renforcement est donc d’autant plus important, car le 2e pilier ne connaît ni compensation du renchérissement, ni garantie du niveau de prestations en fonction des cotisations salariales payées.

L’habituel argument du coût, brandi par la majorité de droite dès qu’une amélioration sociale se profile (argument qui disparaît subitement lorsqu’il s’agit d’accorder de généreux cadeaux fiscaux), n’est pas nouveau. En 1947 déjà, lors de la création de l’AVS, ses opposants d’alors publiaient une annonce dans la presse prétendant que « le financement de l’AVS ne sera plus assuré dans vingt ans. » Malgré ces prophètes de malheur, celle-ci s’est développée et les rentes ont été progressivement augmentées dans les décennies suivantes, avec un soutien unanime des partis. Malheureusement, le consensus politique s’est depuis effrité sous l’influence d’un néolibéralisme effronté. Inconséquents ou cyniques, certains se proposent même de baisser la part fédérale au financement de l’AVS, alors qu’ils resservent parallèlement le faux prétexte d’une faillite de l’AVS pour rejeter l’initiative de l’USS. En réalité, cela prouve que les menaces et les tentatives d’intimidation ne reposent sur rien de concret. Les retraités, y compris bien sûr les musiciens qui n’ont pas toujours eu la possibilité de cotiser au 2^e pilier, méritent amplement cette 13^e rente qui permettra à beaucoup d’entre eux de pouvoir sortir la tête de l’eau.

Non à l’augmentation de l’âge de la retraite

S’appuyant sur ces peurs infondées concernant la pérennité de l’AVS, la deuxième initiative est l’œuvre des Jeunes libéraux-radicaux qui désirent relever l’âge de la retraite à 66 ans, puis continuer à l’élever selon l’augmentation de l’espérance de vie moyenne de la population résidente suisse à l’âge de 65 ans. Cette espérance de vie devrait augmenter, d’après les projections de l’Office fédéral de la statistique, de plus de deux ans d’ici à 2050. Si on tient compte du marché du travail, où les personnes de plus de 50 ans retrouvent rarement un emploi lorsqu’elles sont touchées par le chômage, tandis que les entreprises hésitent à les former en cas de réorientation professionnelle, cette initiative de la jeune garde de la droite libérale paraît fort éloignée de la réalité du monde du travail. Ces futurs avocats, banquiers ou chefs d’entreprise n’ont semble-t-il guère conscience de la fatigue des corps de métier physiquement plus pénibles ou exigeant une maîtrise particulière. Conserver les mêmes facultés, la même réactivité et la même qualité d’écoute au-delà de la soixantaine n’est pas possible pour tous les musiciens, et le relèvement de l’âge de référence pour toucher l’AVS serait problématique pour une part non négligeable d’entre eux. Les cadres à hauts revenus, quant à eux, pourront toujours se permettre de jouir d’une retraite anticipée tout à fait confortable… Au sujet de l’argument des partisans de ce projet selon lequel l’augmentation de l’espérance de vie entrainerait tôt ou tard des difficultés pour financer l’AVS, le président de l’USS Pierre-Yves Maillard a rappelé lors des débats parlementaires de 2020 que si le pourcentage des personnes de plus de 65 ans a doublé depuis l’introduction de l’AVS en 1947, le nombre de cotisants a également doublé, puisqu’au milieu du siècle passé la grande majorité des femmes ne percevaient aucun salaire, leur travail consistant principalement à des tâches ménagères, domestiques et familiales, alors qu’actuellement la plupart d’entre elles occupent des postes rémunérés. L’avenir de l’AVS n’est donc pas en danger et il n’y a pas de raison valable d’augmenter l’âge de la retraite.

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