Claquer la porte de l’enfer

« Dumbarton Oaks, Danses concertantes, Historie du Soldat» – des œuvres pour orchestre de chambre de Stravinsky dans une interprétation pleine d’humour.

Roger Norrington. Photo : Alberto Venzago

« Nicht irgendein Orchester » (pas n’importe quel orchestre), tel est le titre du programme des concerts d’abonnement de l’Orchestre de chambre de Zurich (ZKO) que contemple, sur une photo du livret, Sir Roger Norrington, chef titulaire actuel du ZKO. Son expression traduit la joie qui est la sienne de diriger cette belle phalange.

Sous la baguette de Sir Roger, toujours inventif et drôle, ces trois chefs-œuvre ne dégagent que du bonheur, qui n’a rien à voir avec l’ennui de certaines interprétations froidement mécaniques. Les enregistrements du compositeur lui-même, réalisés dans les années soixante en Californie, sont systématiquement plus rapides que les tempi indiqués dans la très sérieuse partition de Chester Music, éditée en 1987. Après l’écoute de ce CD, les interprétations de Stravinsky paraissent formelles et distantes !

Ces enregistrements réalisés à Zurich offrent une scène stéréophonique spacieuse et une clarté naturelle, qui facilitent l’approche par le mélomane du caractère et du jeu de chaque instrument. Si les mouvements rapides de ces Danses concertantes (1940–42) sont exécutés plus posément que d’habitude, ils dansent avec une nonchalance attachante, sans tension exagérée ni son forcé. Par contre, les mouvements lents sont bien arrondis : ils captivent avec beaucoup de charme et de lyrisme. Cette musique de concert a été récupérée en 1943 pour les ballets et la mise en évidence dans cette interprétation de sa dimension théâtrale est pleinement justifiée. Cette qualité s’avère tout aussi bénéfique dans ce que Stravinski appelait « un petit concerto dans le style des Concertos Brandbourgeois », soit Dumbarton Oaks (1938), où Norrington souligne avec humour la composante néo-classique de l’oeuvre. Irrésistible !

Nous avons comparé dix-neuf Histoire du soldat (RMS 4/2008 et 5/2008) en versions complètes, mais c’est surtout la Suite (sans paroles) qui a rendu l’œuvre mondialement connue dès 1920. L’interprétation de Norrington évoque parfaitement le drame des textes manquants, même si l’on trouve les noires du violon solo un peu courtes et l’instrument trop proche du micro. De plus, toujours selon l’édition Chester, quand le soldat, à la fin de L’Histoire, est contraint de partir en enfer avec le diable au son de la Marche triomphale, Stravinsky a souhaité que le percussionniste reste piano jusqu’à la disparition des deux compères. Mais, en Californie, le compositeur n’obéit pas à lui-même et conclut avec un mezzo-forte.

Quant à Sir Roger, sans complexe, il claque la porte de l’enfer avec un fortissimo subito ! La fantaisie déployée dans le graphisme du livret, comme dans ses photographies, ne peut qu’inviter à posséder ce CD … subito !

Stravinsky : Works for Chamber Orchestra (Historie du Soldat – Suite, Dumbarton Oaks, Danses concertantes). Orchestre de chambre de Zurich, direction Roger Norrington. Sony CD 88725470102

Cela peut également vous intéresser.