Musiques genevoises à travers les siècles

Quelles découvertes ! Cinq quatuors de compositeurs genevois du 20e siècle (Wissmer, Binet, Schulé, Gagnebin et Reichel), suivis de musiques du siècle des lumières (Gaspard Fritz, Friedrich Schwindl et Nicolas Scherrer).

Photo : Falcon Photograph/flickr.com

Très heureuse initiative que celle de nous faire découvrir avec bonheur des pages méconnues écrites par des compositeurs du 20e siècle restés par trop confidentiels.

Compositeurs genevois ? Y a-t-il un élément commun, hormis la provenance ? Austérité calviniste ? Non, pas forcément. Parfois, un peu, tout de même : malgré l’époque, l’on reste sagement dans le tonal ou le modal élargis et le mesuré. Le quatuor de Genève parcourt ces pages avec une intonation irréprochable. François Payet-Labonne et Sidonie Bougamont (violons), Emmanuel Morel (alto) et André Wanders (violoncelle) nous offrent une large palette de couleurs au gré d’un programme commençant avec le quatuor de Jean Binet (1893–1960). Œuvre écrite avec un métier très sûr. L’on y perçoit un beau sens du développement, une originalité, beaucoup de personnalité.

Pierre Wissmer (1915–1992) écrit son 2e quatuor avec un souci du raffinement sonore. Tout en restant formellement dans un moule très classique, la pièce se meut dans un système tonal très large et parfaitement maitrisé.

Avec le 2e quatuor Divertimento de Henri Gagnebin (1886–1977), on revient à un monde harmonique relativement plus classique. On y sent nettement l’influence conjuguée de Debussy et Ravel. Écrite en quatre mouvements, l’œuvre dévoile un beau sens mélodique. Une musique plaisante et très attachante.

On peine à trouver une unité dans les cinq mouvements qui constituent la Fête romantique de Bernard Schulé (1909–1996). Son quatuor pourrait être une musique de film, genre auquel le compositeur s’est souvent frotté. On passe d’une scène à l’autre, d’un décor champêtre à une fugue sans liens apparents. La personnalité du compositeur se révèle mieux dans le 2e mouvement quasi improvvisata, ainsi que dans les charmantes citations populaires de la 3e partie.

Du fait de leur titre, trois préludes et ricercari de Bernard Reichel (1901–1992) annoncent la couleur. Le doux balancement rythmique des préludes nous fait entrer dans le rêve entretenu par la belle sonorité en demi-teinte des interprètes. Après chaque prélude, un ricercare où la référence aux anciens et évidente. Il ne s’agit toutefois pas, fort heureusement, d’un néo-classicisme à la mode à cette époque chez certains compositeurs en mal d’idées : il y a là une vraie inspiration. Le quatuor de Genève y renforce l’antique référence par son jeu sans vibrato.

La force de cet enregistrement réside surtout dans le fait que les musiciens réussissent, par une très grande implication, à changer leur style et leur sonorité au gré de chaque page. Des interprétations très intelligentes et sensibles. Que demander de mieux ?

Quatuor de Genève: Compositeurs genevois (Binet, Wissmer, Gagnebin, Schulé, Reichel). Gallo CD 1463

 

Si tous les mélomanes curieux ont entendu parler de Wissmer, Binet, Schulé, Gagnebin et Reichel, je les défie de chanter à brule-pourpoint une ligne mélodique de Gaspard Fritz, Friedrich Schwindl ou Nicolas Scherrer ! Avec ce double-album, nous partons vers la grande inconnue. Parfois, l’on peut se dire que si un compositeur des siècles précédents est passé aux oubliettes, c’est que sa musique n’avait pas suffisamment d’intérêt. Que nenni pour cet enregistrement !

C’est un vrai bonheur que d’écouter ces musiques raffinées, galantes mais jamais superficielles. Ce d’autant plus que les interprètes articulent le discours avec une acuité remarquable. Mené du violon par Florence Malgoire, l’orchestre baroque de la HEM de Genève est constitué d’étudiants en classe professionnelle qui croient en ce qu’ils font. L’équilibre entre cordes et vent est idéal, permettant de faire ressortir chaque strate de l’architecture sonore. C’est à la fois clair et parfaitement homogène. Des conditions idéales qui nous permettent de découvrir les belles pages symphoniques de Gaspard Fritz (1716–1783) et Friedrich Schwindl (1737–1786).

Le second CD est consacré à la musique de chambre des compositeurs précités auxquels s’ajoute Nicolas Scherrer (1747–1821). Les membres de l’ensemble « Le Harmoniche Sfere » mettent leur connaissance approfondie de ce répertoire au service d’une luminescente musicalité. Le violon lyrique de Denitsa Kasakova raconte toujours quelque chose, soutenu par le toucher ductile du pianoforte de Paolo Corsi, lequel joue sur un magnifique instrument de Johann Andreas Stein (1782). S’y ajoute le chatoiement du violoncelle d’Esmé de Vries. Grâce à leur parfaite complicité, mais grâce aussi à l’excellence de la prise de son, l’on n’a jamais l’impression d’un instrument soliste qui tire la couverture, accompagné dans l’ombre par des instruments en arrière-plan. C’est suffisamment rare pour être relevé !

(Cet enregistrement accompagne le livre « Musiciens et amateurs » de Corinne Walker, édité par La Baconnière/Arts, cf. critique dans la RMS 4/2018, p. 16.)

Genève au Siècle des Lumières. Florence Malgoire, Violon et Direction ; Orchestre baroque de la HEM de Genève ; Paolo Corsi, Pianoforte ; Le Harmoniche Sfere. Claves Rarities 50-1610/11 (2 cd)

 

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