Trois « tubes » à couper le souffle !
L’Orchestre de la Suisse Romande et l’organiste Christopher Jacobson sous la direction de Kazuki Yamada ont enregistré la troisième symphonie de Saint-Saëns et le concerto Concerto pour orgue, orchestre à cordes et timbales de Poulenc suivi de la fameuse Toccata de Widor.
Ce SACD de Pentatone séduit d’entrée par sa fidélité à l’acoustique du Victoria Hall, nous rappelant ainsi l’intégrale des symphonies de Bruckner avec le même Orchestre de la Suisse Romande. Les premières mesures de cette belle troisième symphonie de Saint-Saëns sont tendrement caressées sous la direction souple et organique de Kazuki Yamada, qui fait évoluer l’œuvre avec conviction à l’instar d’une ligne architecturale. Vers la conclusion du premier mouvement, le chef japonais détend à nouveau l’atmosphère et anticipe à merveille le deuxième, où – moment magique ! – l’entrée des pédales de l’orgue soutient admirablement l’unisson des cordes, sans nuire à la richesse de leur timbre. Dans le troisième mouvement, Presto, quelques petits décalages ne dérangent pas, car c’est l’élan qui l’emporte, comme au concert. À l’attaque du Maestoso final, tant attendu par tous les mélomanes de l’orgue, notre « roi des instruments » déploie magistralement le plein jeu fortissimo, ce qui ne manque pas d’effet. Et, selon le livret (!), la symphonie finit en véritable victoire : « recorded at Victory Hall, Geneva » !
Chef-d’œuvre d’avant-guerre de Francis Poulenc, son concerto pour orgue exprime les paradoxes de son âme : une gaîté parisienne, contrastant avec l’intimité religieuse qui nous rappelle ses chœurs a cappella. Pour citer le compositeur, c’est « plutôt Poulenc en route pour le cloître ! ». Christopher Jacobson n’hésite pas à tirer des jeux assez agressifs, voire criards, auxquels Kazuki Yamada répond avec délicatesse et plénitude spirituelle. Heureusement, les deux interprètes se rejoignent dans des moments de calme, au cœur de belles registrations, qui fusionnent harmonieusement avec l’orchestre ; en revanche, d’autres cachent des voix intérieures, notamment celles des soli d’alto et violoncelle dans la coda. De plus, ici et là, l’organiste pourrait respirer plus librement, en écoutant davantage l’orchestre. Certes, la distance de la console à l’orchestre n’aide pas : on se souvient de cette difficulté d’ensemble avec l’ancien instrument qui, hélas, a brûlé en 1984. Par ailleurs, ce dernier était plus proche de la palette de couleurs des orgues d’Aristide Cavaillé-Coll, à l’origine de l’inspiration de Poulenc.
Comme cadeau sur ce SACD, notre virtuose propose la fameuse Toccata de Widor, fréquemment enregistrée et jouée à d’innombrables mariages ! Avouons que nous aurions préféré trouver une pièce plus inédite, de Maurice Duruflé par exemple, qui a créé le concerto de Poulenc en 1939 et en a réalisé un enregistrement de référence chez EMI en 1961. Néanmoins, Christopher Jacobson expédie ce « tube » de Widor d’une manière athlétique, à couper le souffle – mais pas celui de l’orgue !
Saint-Saëns : Symphony No. 3 (Organ Symphony) ; Poulenc : Concerto for Organ, Strings and Timpani ; Widor : Symphony for Organ No. 5, Toccata. Orchestre de la Suisse Romande ; Christopher Jacobson, organ ; Kazuki Yamada, direction. Pentatone PTC 5186 638