Une perle dans le monde du crossover

Clara Barry pare les mélodies de Bartók de couleurs jazz. Deux genres musicaux donnent naissance à quelque chose de totalement novateur.

 

Clara Barry. Photo : DR

Dans les années1960, les Swingle Singers divisaient les mélomanes en enregistrant Jazz Sebastian Bach. Nombre d’entre eux étaient outrés. Comment peut-on « attaquer » Bach en le faisant « swinguer » ? C’était l’époque où les cantates interprétées par Karl Richter étaient l’une des références. En 1970, Harnoncourt et Leonhardt dirigeaient le premier volume d’une série de 60 disques de l’intégralité de ces cantates. Une bombe dans le monde de l’enregistrement. Par leurs interprétations historiquement documentées, début d’une longue histoire, ils ne pouvaient que donner raison aux Swingle Singers : il est devenu évident que Bach doit « swinguer » !

Clara Barry tente un pari plus audacieux encore : parer les mélodies de Bartók de couleurs jazz. Tout comme avec les Swingle Singers, certains afficionados seront choqués. Nous sommes sous le charme ! Rappelons l’amitié qui liait le compositeur à Benny Goodman…

Premier flash : la voix. Il suffit de ne pas rester ancré dans des habitudes. Clara Barry ne chante pas « façon opéra ». Notons que lorsque Bartók sillonnait la campagne pour enregistrer les mélodies populaires qui ont souvent inspiré ses œuvres, les chanteuses qu’il captait ne chantaient pas Pamina à l’opéra de Budapest. Clara Barry utilise une projection vocale jazzy, colorant les mélodies de façon novatrice. Elle raconte une histoire et nous y prend par la main avec beaucoup de sensibilité.

Deuxième flash : l’harmonie. Bien sûr, Bartók est un maître en la matière. Mais là, si l’esprit reste, le piano d’Emil Spányi pare les mélodies de Bartók de couleurs qui ne sont pas sans évoquer un Bill Evans ou un Keith Jarret. Le résultat est bouleversant ! Mátyás Szandai fait chanter les pizzicati de sa contrebasse avec une implication poétique unique, et la trompette d’Hector Léna-Schroll illumine de façon solaire l’une des plages de ce CD, unique et trop brève apparition ! Un chant de Kodály et deux pièces populaires suédoises complètent le programme.

La mode du crossover, de l’hybridation entre deux genres musicaux n’a pas produit que des chefs-d’œuvre. Ici, nous sommes face à une perle. On ne sacrifie pas un style au détriment d’un autre ( Bartók/Jazz), on tente le pari de fusionner les genres pour créer quelque chose de totalement novateur. Le pari est vraiment gagné.

Clara Barry sings Bartók. Emil Spányi, piano; Mátyás Szandai, bass. Claves 50-3088

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