Portrait d’un caractère égocentrique
Les éditions Papillon ont publié la première biographie consacrée en français à Othmar Schoeck, ainsi qu’une étude historique.
Après avoir publié des ouvrages consacrés aux compositeurs suisses d’Alessandro, Bloch, Honegger et Martin, les éditions Papillon font paraître dans leur collection Mélophile la première biographie consacrée en français à Othmar Schoeck. Spécialiste de ce compositeur, Beat Föllmi se trouve actuellement en charge de la publication de ses œuvres complètes, après en avoir dressé le catalogue en 1997. Délaissant les analyses musicales détaillées, il privilégie la description du milieu dans lequel vivait le compositeur zurichois, de son cercle d’amis (parmi lesquels Hermann Hesse) et des personnes, pas toujours recommandables, qui gravitent autour de lui. Le caractère égocentrique et peu stable de Schoeck retient particulièrement l’attention : outre une vie peu glorieuse de débauché, son manque de ponctualité et d’organisation l’empêche de progresser dans sa carrière de chef d’orchestre. Pendant longtemps, il se soucie peu de se faire connaître au niveau international, tout en se plaignant de ne pas être plus reconnu. Il programme certes la musique de son temps dans ses concerts, assiste aux spectacles dadaïstes, est fasciné par le Wozzeck de Berg, mais le manque d’intérêt porté à ses œuvres les plus « avancées » stylistiquement (dont son opéra Penthesilea) l’amène à une attitude réactionnaire, fruit en partie de l’amertume : ses échecs personnels et professionnels (vie de couple houleuse et difficultés financières) le rendent misanthrope et rempli de jalousie. Ce contexte l’amène hélas à se compromettre avec le régime odieux qui se met en place en Allemagne, dans l’espoir que ses œuvres soient plus souvent accueillies par les théâtres de ce pays – mauvais calcul qui ne peut que se retourner contre lui –, jusqu’à accepter une distinction douteuse et à collaborer pour son dernier opéra avec un médiocre écrivain nazi qui macule le livret de son idéologie sordide. Après-guerre, malade et dépressif, Schoeck écrit une musique plus traditionnelle et incarne pour certains un rempart contre la modernité. Actuellement, la pluralité stylistique du 20ème siècle étant admise, des jugements plus nuancés permettent de reconnaître tant l’intérêt de son œuvre que sa part de relative modernité, ce que fait l’auteur du livre en nous livrant un portrait très intéressant de ce chapitre important de la vie musicale helvétique.
Beat Föllmi, Othmar Schoeck ou le maître du lied, 224 pages, Fr. 44.95, Editions Papillon, Genève 2013, ISBN 978-2-940310-45-6
L’Espagne vue de France à travers les ballets de cour
L’autre publication étudie les relations ambiguës entre la France et l’Espagne vues sous l’angle des ballets de cour. Bien que le sujet puisse, au premier abord, paraître restreint, on s’aperçoit vite que l’ouvrage foisonne de thèmes tels que l’analyse des gravures satiriques d’époque ou l’histoire des danses espagnoles (on y apprend entre autres que la sarabande fut d’abord interdite sous l’impulsion de la toute puissante église catholique espagnole et sa pratique punie de 200 coups de fouet et de six ans de galère pour les hommes et de l’exil pour les femmes). L’Espagne, fière et orgueilleuse première puissance européenne durant le 16ème siècle mais dont l’aura baisse depuis l’échec de l’Invincible Armada face à la flotte anglaise, est jalousée par la France ; celle-ci, entravée par ses échecs en Italie et par les guerres de religion, rêve d’occuper cette première place. D’une part, les Français se moquent des Espagnols, qu’ils jugent colériques, hypocrites, d’une gravité surfaite remplie de morgue et d’ostentation. Dans les ballets comme dans les gravures, on ridiculise leurs rodomontades. Estimant que les Espagnols ne possèdent ni science ni art, les Français, prisonniers de leurs jugements, ne comprennent guère la musique et le théâtre des Ibères. D’autre part, la mode de l’Espagne grandit : sarabandes et chaconnes font leur apparition dans la musique française, de même que l’usage de la guitare à cinq cordes ou des castagnettes et, de manière plus générale, des produits d’origine hispanique ou provenant des colonies espagnoles du Nouveau Monde. La littérature espagnole (à commencer par Cervantès) se diffuse, de même que l’apprentissage du Castillan. Quant aux ballets de cour, on peut suivre leur évolution : sous Louis XIII, ils représentent symboliquement les péripéties politiques et militaires, tandis que sous Louis XIV, le but du ballet devient le plaisir du public : les effets spectaculaires remplacent les éléments burlesques et les moqueries. Mais il est vrai qu’à ce moment-là, les relations entre les deux pays avaient changé : Louis XIV avait épousé Marie-Thérèse, fille de Philippe IV d’Espagne.
Clara Rico Osés, L’Espagne vue de France à travers les ballets de cour du XVIIe siècle, 248 pages, Fr. 44.95, Editions Papillon, Genève 2012, ISBN 978-2-940310-41-8