La suissitude dans la musique

Mathieu Schneider a analysé 250 œuvres musicales qui font référence à la Suisse et met en lumière le rôle de la musique dans la construction identitaire du pays.

La Joungfrau dans la valée de Lauterbrunnen, env. 1850. Bibliothèque nationale suisse, wikimedia commons

On ne compte plus les opéras, lieder, musiques de scène et pièces instrumentales qui, depuis les années 1760, font référence aux Alpes et plus particulièrement à la Suisse, bien que ce répertoire musical soit largement oublié aujourd’hui. Alors que le territoire suisse actuel est arrêté par le Traité de Vienne de 1815, cette célébration de la suissitude commence bien avant. Mais comment expliquer cette fascination du public des pays environnants pour la musique inspirée par la Suisse ? Comment expliquer que la Suisse ait pu inspirer autant de compositeurs et compositrices ? Cette inspiration se manifeste-t-elle de la même manière chez les compositrices et les compositeurs étrangers et chez les Suisses ?

L’espace alpin constitue le point de départ de l’analyse. Inspirés par les textes d’un Jean-Jacques Rousseau, puis d’un Lord Byron, les peintres et les compositeurs célèbrent la vie simple et rustique des vallées alpines, alors que parallèlement, l’industrialisation contribue à uniformiser les produits et à concentrer les populations dans les centres urbains. L’auteur, qui a fait du présent ouvrage sa thèse d’habilitation, base son analyse sur quelque 250 œuvres musicales écrites entre 1750 et 1919 qui font référence à la Suisse et qu’il a recensées. Son approche spatiale se retrouve aussi au niveau méthodologique, dans la mesure où dans la première partie de l’ouvrage, l’auteur part effectivement du « plancher des vaches », étudiant les interactions entre les activités agricoles, le paysage et la société pour expliquer la fascination exercée par les musiques associées à la Suisse par excellence : le chant du ranz des vaches et le son du cor des Alpes. Dans la deuxième partie, la spatialité est plus métaphorique : elle se réfère à l’écho produit par les musiques suisses (ou associées à la Suisse), sous une forme sublimée ou transcendée, chez les compositrices et les compositeurs romantiques.

La Suisse et les Suisses sont peu informés sur leur passé musical, l’historiographie musicale suisse ayant pris du retard. Il n’est donc pas étonnant qu’ils peinent à reconnaître leur contribution à la tradition musicale européenne. Cette étude ouvre les yeux. Sous la plume aussi experte qu’habile de Mathieu Schneider, nous découvrons que l’idée même de romantisme a son origine dans notre pays. Au gré de cette approche transversale et d’un subtil jeu de miroirs, la suissitude déploie ses multiples facettes musicales, composées de traditions autochtones, de transpositions ainsi que de projections extérieures.

Ce livre, qui a vocation d’ouvrage de référence, s’adresse aux musicologues, mais aussi aux personnes intéressées par l’histoire suisse, dont il découvre un pan très largement ignoré jusqu’à ce jour en mettant en lumière le rôle de la musique dans la construction identitaire du pays. De plus, les nombreuses œuvres musicales citées ou mentionnées seront une précieuse source d’inspiration pour les interprètes qui souhaitent enrichir leur répertoire de concert.

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Mathieu Schneider : L’utopie suisse dans la musique romantique, 377 p., nombreux incipits et exemples musicaux, illustrations, € 44.00, Hermann, Paris 2016, ISBN 978-2-7056-9116-5

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