Sons et musiques sans frontières

Dans leur catalogue, les éditions Minerve proposent en majorité des ouvrages relatifs à la musique. Deux parutions récentes sont consacrées, l’une à l’interaction entre musique et environnement, l’autre aux écrits de Busoni.

Détail de la couverture de «Musique et environnement »

Outre un vaste catalogue de compositions abordant tous les genres, Jean-Yves Bosseur a également publié de nombreux ouvrages et textes, principalement dédiés à la musique contemporaine. Dans un livre récemment réédité, il explore les rapports entre les sons et les différents milieux dans lesquels ils s’inscrivent, non dans une perspective théorique, mais au contraire en multipliant les exemples éclairants, en explicitant les démarches de nombreux compositeurs et concepteurs. Grand libérateur, John Cage est un des premiers à avoir considéré que tout l’univers sonore se trouve à disposition, sans discrimination. A sa suite, d’autres ont volontiers dépassé les délimitations entre musique et bruit, naturel et artificiel, vie quotidienne et art, auditif et visuel, temporel et statique, amenant souvent à une nouvelle conscientisation de l’environnement sonore. Tout lieu, citadin ou campagnard, avec ou sans intervention humaine, peut remplacer la salle de concert ; tous les sons et bruits, qu’ils soient ou non choisis, transformés, intégrés dans une œuvre, peuvent devenir objets d’une écoute nouvelle. Impossible de citer ici toute la richesse des potentialités examinées dans ce livre : compositions ou installations écrites en rapport avec les caractéristiques spatiales et acoustiques d’un lieu, inclusion de sons tirés de l’environnement dans une œuvre de concert, écosystème devenu lui-même musique, dialogue entre sons créés et naturels, et bien d’autres encore. Mais le son peut aussi se transformer en source néfaste de maladies, voire même en arme pernicieuse de dissuasion, de répression, de torture ou de destruction ; il peut devenir une identité sonore pour une marque d’objets d’usage courant (design musical) ou un signal fonctionnel, mais aussi une musique de manipulation mentale, une pollution phonique formatant ses auditeurs, comme un lavage de cerveau, un flux permanent, par exemple dans les centres commerciaux, sans échappatoire pour les employés ou les clients captifs, afin d’inciter au consumérisme. A l’encontre de ces laideurs violentes ou sirupeuses, des acousticiens tentent de limiter les atteintes psycho-sociales du bruit, des musiciens tentent de préserver la beauté des paysages sonores et (relativement) silencieux. L’avenir ne pourra pas faire l’impasse sur une écologie musicale.

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Compositeur trop négligé de nos jours, Ferruccio Busoni a laissé des écrits quelquefois plus visionnaires que ses œuvres musicales, en particulier le plus long et célèbre d’entre eux, Esquisse d’une nouvelle esthétique musicale (1907), qui ouvre grandes les portes de la modernité musicale du 20e siècle, jusqu’à la microtonalité ou la musique électroacoustique. Dans cette nouvelle édition, on trouve à la suite de cet essai la transcription des annotations ajoutées par Schoenberg, pour la première fois traduites en français : réactions, compléments et pensées de plus en plus longues et approfondies au fil des pages. Parmi les 32 autres textes de Busoni sélectionnés pour ce recueil, qui témoignent eux aussi de la grande liberté de sa pensée, plusieurs concernent ses propres opéras (et, par la même occasion, la forme de l’opéra en général) ou sa conception des œuvres d’autres compositeurs (Bach et Liszt en particulier). On pourra également y lire avec plaisir des prises de position sur des questions esthétiques ou de techniques musicales, une communication sur l’usage des tiers de ton ou encore une réflexion sur l’essence de la musique.

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Jean-Yves Bosseur : Musique et environnement, 244 p., € 24.00, Editions Minerve, Paris 2016, ISBN 978-2-86931-147-3

Ferruccio Busoni : Esquisse d’une nouvelle esthétique musicale et autres écrits, Introduction de Pierre Michel, Traduit de l’allemand par Martin Kaltenecker, Paul Masotta, Daniel Dollé et Pierre Michel, 228 p., € 22.00, Editions Minerve, Paris 2018, ISBN 978-2-86931-149-7

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