A la recherche d’une musique suisse

Un ample ouvrage s’emploie à définir les spécificités de la musique suisse au travers de son histoire, tandis qu’une brève biographie présente le compositeur vaudois Gustave Doret.

Ernest Biéler : Portrait de Gustave Doret, environ 1910. Source : wikimedia commons

Existe-t-il, par-delà les régionalismes et les spécificités cantonales, une musique authentiquement suisse ? Pour répondre à cette question, différentes pistes relevant autant de l’histoire que de la littérature, de la psychologie ou de la sociologie, ont été explorées par le violoncelliste et historien de la musique James Lyon, à la recherche d’un fond commun transcendant la diversité des cultures et des traditions. Cette enquête débouche sur le constat qu’on ne peut guère parler d’une musique nationale, mais plutôt confédérale, dans un équilibre et des complémentarités proches de ce qu’on retrouve au niveau de la structure politique du pays. Reconnaître cette singularité helvétique, cet alliage entre une identité originale forgée au creuset des influences des grandes nations voisines et une riche multiplicité de situations locales variées, c’est également se pencher sur certaines particularités telles que l’importance du folklore et de l’art choral, l’imprégnation de la pensée réformée ou la présence inspiratrice des paysages naturels, lacustres ou montagnards. Articulé en chapitres de longueur inégale, le copieux ouvrage publié aux éditions Slatkine expose l’histoire musicale de la Suisse et de ses principales villes, citant nombre de compositeurs, mais aussi d’écrivains et de peintres, révèle succinctement quelques institutions-phares, ainsi que des figures de la musicologie ou de la pédagogie musicale, contient un vaste dictionnaire biographique et une chronologie, et étudie des sujets tels que la musique alpine, le Ranz des vaches, la Fête des Vignerons et les œuvres scéniques analogues ou encore l’attitude des Réformateurs face à l’art d’Euterpe. Bien que n’abordant quasiment pas les compositeurs contemporains, l’auteur a cependant retranscrit un entretien réalisé avec Fabian Müller, connu pour l’intérêt qu’il porte à la musique populaire.

James Lyon : Une histoire de la musique en Suisse. Réflexion sur la culture helvétique, 660 p., Fr. 46.85, Editions Slatkine, Genève 2023, ISBN 9782051029384

 

Les éditions Infolio ont lancé il y a cinq ans une collection de brèves monographies en format de poche remettant en lumière des personnalités suisses du passé récent ou plus lointain, célèbres ou méconnues, le plus fréquemment des écrivains et autres artistes. En quelques dizaines de pages parsemées d’illustrations en couleur, la plume alerte et agréable d’Antonin Scherrer évoque les étapes de la vie de Gustave Doret, musicien vaudois aux fortes attaches parisiennes – après une parenthèse berlinoise durant laquelle il est disciple de Joseph Joachim, il étudia en effet auprès de Massenet et passa la majeure partie de son existence dans la Ville Lumière, y faisant montre de ses talents de chef d’orchestre, par exemple aux concerts d’Harcourt, où il créa en 1894 le Prélude à l’après-midi d’un faune de Debussy, ou à la direction artistique de l’Opéra-Comique. Il milita d’ailleurs pour que les musiciens romands aillent se former en France, plus proche de leurs affinités naturelles, plutôt qu’en Allemagne. En tant que compositeur, la mémoire collective se souvient de ses partitions pour les Fêtes des Vignerons de 1905 et 1927, mais il obtint aussi un brillant succès avec sa légende dramatique Les Armaillis, opéra donné plusieurs centaines de fois sur de nombreuses scènes. Quant à son catalogue de près de 400 œuvres, il consiste surtout en une abondance de pièces chorales, volontairement simples et d’aspect populaire. En collaboration avec les frères Morax, il écrivit des musiques scéniques destinées au Théâtre du Jorat de Mézières. Personnage influent, également par le biais de ses critiques musicales volontiers mordantes et par ses chroniques, couvert d’honneurs, il se sentit dépassé par la musique de son temps qu’il ne comprenait plus guère et se mura dans une amertume aigrie par des pensées de plus en plus réactionnaires, vouant aux gémonies tout ce qui s’éloignait de ses critères esthétiques.

Antonin Scherrer : Doret, la musique et le pays, 64 p., Fr. 12.00, Infolio, Gollion 2024, ISBN 978-2-88968-129-7

 

 

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