Compositrices entravées

Deux ouvrages présentent des compositrices dont l’élan créateur a été contrarié : brisé net au moment de la disparition de son bien-aimé pour l’une, progressivement empêché par le travail et de multiples soucis pour l’autre.

Clara Schumann (autotypie de Franz Hanfstaengl, 1857) et Marguerite Canal (photo parue dans « Comoedia illustré » à l’occasion de la réception de son Premier Grand Prix de Rome en 1920). Wikimedia commons

Trop souvent, la vie de Clara Schumann est mesurée à l’aune de celle de Robert, négligeant le fait qu’à la mort de ce dernier, sa veuve aura encore quarante ans à vivre, plus de la moitié de son existence. Pianiste légendaire, pédagogue renommée, organisatrice avisée de ses concerts, elle fut également une compositrice précoce dont la production fut d’abord ralentie par son mariage, puis totalement étouffée à la disparition de l’être qu’elle aimait avec dévotion. Au contraire, si sa carrière de concertiste, entamée dès l’enfance sous la houlette d’un père dominateur, connut une relative éclipse durant ses années matrimoniales synonymes d’abnégation, elle sillonna à nouveau l’Europe sitôt libérée des tâches domestiques, se donnant alors comme mission de servir et d’imposer les partitions de Robert, les jouant et les diffusant, y compris au moyen de l’édition monumentale de ses œuvres complètes, un apostolat secondé entre autres par l’amitié fidèle de Brahms (dont elle fut une interprète de prédilection) et de Joachim.

Dans sa récente biographie de cette figure majeure de la musique allemande, Brigitte François-Sappey, spécialiste de la période romantique, sait allier érudition et efficacité de la narration, rendant la lecture passionnante. L’auteur ne cache pas les travers de Frau Doktor Schumann, ses difficultés relationnelles, son incompréhension de chefs-d’œuvre tels que la Sonate en si mineur de Liszt ou Tristan et Isolde de Wagner, respectivement considérés comme affreuse et pénible, ou l’autodénigrement de ses capacités de créatrice, mais elle explicite aussi toutes les souffrances et les renoncements qu’a dû endurer cette musicienne courageuse. En outre, chacune des pièces de Clara est présentée et décrite en encadré, et les multiples références codées entre les compositions des deux époux sont mises en lumière.

 

Malgré qu’elle soit la seconde femme à avoir obtenu le Prix de Rome, en 1920 (sept ans après Lili Boulanger), Marguerite Canal (1890-1978) a sombré dans l’oubli, bien que sa magnifique sonate pour violon et piano (qu’Enesco, peu avant son décès, souhaitait inscrire à son répertoire) ait été fréquemment jouée dès sa création et ait bénéficié récemment de plusieurs enregistrements. Cette œuvre, dans la veine de Debussy, démontre les facultés de construction et d’invention mélodique de la compositrice. Sa musique mélancolique, à la fois pudique et passionnée, s’exprime également avec bonheur dans un important corpus de mélodies faisant appel à des poètes souvent parnassiens ou symbolistes, par exemple Baudelaire, Desbordes-Valmore, Leconte de Lisle, Rodenbach ou Verlaine. Des obstacles divers, tels que son difficile divorce ou ses activités de pianiste-accompagnatrice et d’enseignante, entravèrent progressivement la créativité de Marguerite Canal. Elle laissera finalement inachevé l’opéra qu’elle avait projeté d’écrire un demi-siècle déjà avant sa mort. La monographie concise parue aux éditions Delatour rend justice à cette attachante musicienne, sous la plume de Pierrette Germain, qui a animé durant des décennies de nombreuses émissions radiophoniques à Radio-France et s’attache à faire connaître des figures musicales négligées.

 

Pierrette Germain : Marguerite Canal, compositrice. La création entravée, 118 p., € 17.00, Editions Delatour, Sampzon 2022, ISBN 978-2-7521-0-450-2

Brigitte François-Sappey : Clara Schumann und icône romantique, 328 p., € 17.00, Le Passeur Editeur, Paris 2023, ISBN 978-2-36890-975-1

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