Barbara Hannigan et Golfam Khayam à la Résidence Voix 2024
En amont de la 76e édition du Festival d’Aix-en-Provence, la traditionnelle Résidence Voix se révèle à nouveau comme un épicentre de la création vocale contemporaine. Barbara Hannigan, qui animera la résidence, a invité la compositrice Golfam Khayam, formée à Genève.
Créée en 1998 sous l’égide de Pierre Boulez, l’Académie du Festival international d’Aix est un « lieu de réflexion qui accompagne la pratique, l’expérimentation et la recherche artistique et pluridisciplinaire », elle est un « véritable laboratoire de création ». Elle propose traditionnellement trois résidences en juin – vocale, instrumentale, pluridisciplinaire. Pour ajouter au rayonnement de sa 26e édition, Résidence Voix accueille la soprano et cheffe d’orchestre canadienne Barbara Hannigan. Familière du Festival d’Aix pour y avoir interprété depuis plus de quinze ans les grandes œuvres du répertoire vocal et instrumental, Barbara Hannigan revient dans le temple de l’art lyrique pour animer la résidence vocale, aux côtés de Darrell Babidge, professeur et directeur du département vocal de la Juilliard School, d’Alphonse Cemin et Benoît Hartoin, claviéristes et chefs de chant, et d’Emmanuelle Haïm, cheffe d’orchestre et directrice musicale du Concert d’Astrée.
Pour cette résidence vocale, l’Académie a reçu cette année le nombre record de 453 candidatures, provenant de 51 nationalités. Quatorze artistes originaires de douze pays ont été sélectionnés – trois claviéristes cheffes et chefs de chant et une cheffe d’orchestre, et dix chanteurs et chanteuses – parmi lesquels la mezzo-soprano française Marine Chagnon, nommée dans la catégorie Révélation lyrique aux Victoires de la musique classique 2023.
Inclusion et transmission
Loin de refléter un simple rapport de maître à élève entre mentors et résidents, Résidence Voix est véritablement une plateforme « intergénérationnelle » de rencontres artistiques, interprofessionnelles et de formation. Elle permet à des maîtres de chant reconnus, des artistes lyriques de renommée ou en développement de carrière, à des compositeurs et compositrices, de nouer de précieux contacts, de penser leur métier dans le contexte d’aujourd’hui, de travailler et de créer ensemble. Les artistes en résidence contribuent à en faire un véritable « espace d’échange d’idées innovantes sur l’opéra ».
Depuis longtemps, la transmission du savoir et de la pratique est au cœur de la démarche artistique de Barbara Hannigan. Une vision commune avec le festival et son Académie s’en est naturellement dégagée. Dès l’âge de vingt ans, elle anime régulièrement des master classes, adressées d’abord aux compositeurs, aux chanteurs, puis aux instrumentistes. Elle est également sollicitée par les orchestres pour animer des ateliers de respiration. Parvenue au sommet de sa technique et très engagée en faveur de la jeune génération de musiciens, elle crée en 2018 un programme de mentorat : Equilibrium Young Artists, et, en 2020, Momentum : Our Future, Now. « Quand je débutais comme jeune artiste, beaucoup de musiciens alors plus expérimentés que moi me donnaient des conseils et des opportunités. C’est grâce à leur générosité et leur engagement que j’ai pu atteindre le niveau que j’ai aujourd’hui. C’est important de reconnaître que les conservatoires et les programmes d’été ne sont pas les seuls à former nos jeunes collègues. Nous sommes tous concernés. Les musiciens professionnels sont des exemples pour ceux et celles qui arrivent dans le monde de la scène, non seulement en ce qui concerne la préparation, mais aussi le comportement en répétitions, dans les coulisses, et sur scène ». Barbara Hannigan vient à Résidence Voix sans aucune attente, mais « avec une grande curiosité ». « Je veux voir et entendre comment les jeunes artistes ressentent et abordent la musique, leur voix, leur respiration et leur corps ».
Un groupe qui se réunit dans le but de partager la musique et de soutenir l’expression créative ne peut avoir que des effets positifs, Barbara Hannigan en a pleinement conscience. Mais les défis à relever, en particulier au niveau de l’éducation, demeurent nombreux. « Les êtres humains sont des créatures créatives qui recherchent en permanence l’inspiration et des moyens d’expression. Nous connaissons aujourd’hui les bienfaits de la musique sur le développement du cerveau, et des matières comme les sciences et les mathématiques. Pourtant de nombreuses écoles l’ont supprimé pour n’en faire qu’une activité extrascolaire. Ce qui a eu comme résultat de rendre la musique encore moins accessible aux enfants défavorisés ».
A travers les formations proposées – concerts, récitals, master classes, répétitions, ateliers publics – la résidence se veut être une fenêtre ouverte sur le travail des jeunes artistes, elle veut « sortir du huis clos et se confronter au public ». Elle privilégie aussi des sessions privées, susceptibles d’amener les participants « dans un espace de travail ciblé et généreux, loin des yeux et des oreilles du public, et surtout loin des réseaux sociaux », explique Barbara Hannigan, en soulignant les enjeux actuels auxquels sont confrontés les résidents : « j’espère pouvoir développer leur capacité de concentration. Aujourd’hui, c’est un énorme défi pour les jeunes artistes que de concilier tout cela – concentration, technique, discipline et besoin des réseaux sociaux pour attirer public ».
Au cœur de la création
Résidence Voix se distingue par la volonté de mettre en lumière les énergies singulières et novatrices de la création lyrique contemporaine et de soutenir les compositeurs d’aujourd’hui. Fidèle à son goût pour les contrastes, Barbara Hannigan aborde les piliers du répertoire lyrique, mais demeure une fervente défenseure de la musique des 20e et 21e siècles. Ses collaborations à plus de quatre-vingts créations mondiales, parmi lesquelles Boulez, Stockhausen, Dusapin, Benjamin, ont inspiré de nombreux interprètes et orchestres. Plus récemment, l’Orchestre de Chambre de Lausanne s’ajoute désormais à la liste des formations qui bénéficient de cette énergie créatrice, Barbara Hannigan y sera cheffe invitée principale dès la saison prochaine.
« Mon objectif pendant la résidence Voix est lié à la musique contemporaine, car je suis invitée par le festival pour travailler spécifiquement sur le répertoire moderne. Certains chanteurs et chanteuses n’ont pratiquement aucune expérience de cette musique, et je considère donc que c’est ma mission de leur ouvrir les portes pour qu’ils se sentent à l’aise dans l’approche d’une œuvre contemporaine, et d’enrichir leur compréhension de ce répertoire », dit-elle avec enthousiasme. « Parce que nous travaillons avec des chanteurs et des pianistes, j’ai porté mon choix sur un répertoire non opératique, très spécifiquement écrit pour voix et piano. Il ne s’agit donc pas de réductions orchestrales. Parmi les œuvres que j’ai choisies, il y a Crumb, Dutilleux, Harvey, Vivier et Ligeti, dont les thèmes tournent autour de l’été et de la nuit ». Au sein d’une académie particulièrement « attentive à la diversité des esthétiques, des pratiques, des parcours, des cultures, des âges et des genres », la résidence permet aux jeunes artistes de se confronter au répertoire contemporain et à la création, en leur offrant l’opportunité de « découvrir à la fois la partition et d’entretenir une relation privilégiée avec son compositeur et son univers ». Elle invite cette année Golfam Khayam, compositrice et guitariste iranienne, formée à l’interprétation de la musique contemporaine à la Haute Ecole de Musique de Genève.
La rencontre entre Barbara Hannigan et Golfam Khayam s’est faite en mars 2023. Une rencontre éminemment poétique, née d’un coup de foudre pour les mots du poète iranien Ahmad Shamlou, qui a généré l’écriture de la partition pour soprano et orchestre, Je ne suis pas une fable à conter. Une première collaboration qui a marqué les esprits. Sur une commande de l’Académie du Festival d’Aix 2024, la compositrice a, cette fois-ci, jeté son dévolu sur un poème de Forough Farrokhzad, grande figure féminine de la littérature contemporaine iranienne, et le pense comme une pièce pour voix et piano. « Ce poème m’a frappé comme si Forough Farrokhzad avait une solution à l’obscurité dont nous sommes les témoins impuissants. Une solution à l’ennui et à l’anxiété du ‹tic-tac d’une horloge› ». Noor (Lumière) est une pièce en pleine résonnance avec l’actualité, elle reflète « l’absence d’espace et la nature intemporelle du texte, dont le langage est direct, simple, sensuel et frappant », explique Golfam Khayam. « En tant que compositrice, c’est une opportunité inestimable de pouvoir m’exprimer à travers ce texte, et de créer une sorte de pont culturel et musical avec les jeunes artistes, mais aussi avec l’héritage de la musique classique occidentale ». Elle poursuit : « cet espace unique me permet aussi d’expérimenter la façon dont Barbara Hannigan interagit avec les artistes, les encadre, et d’une certaine manière, les élève dans une direction particulière ».
Barbara Hannigan est aussi reconnue pour élaborer des programmations sensiblement empreintes d’une narration cachée. Qui mieux que cette grande personnalité pourrait accompagner la création mondiale de Noor ? « II n’y a rien de tel que de pouvoir créer une œuvre avec la compositrice à vos côtés. La rencontre et le travail avec Golfam Khayam sont d’une valeur infinie. Je suis certaine que ce sera une création très spéciale », confiait-elle récemment. Plutôt « une sorte de co-création », souligne la compositrice : « avec Barbara Hannigan et l’artiste lyrique Marine Chagnon, nous allons créer et donner une nouvelle vie à ma pièce ». Une collaboration qui va bien au-delà d’un simple événement musical, « car elle est porteuse de messages cachés mais évidents à bien des égards, et surtout, elle construit un pont solide entre deux mondes ». Le tout dans le cadre d’un festival, qui, dans un monde fragilisé, demeure un lieu de partage et d’interaction culturelle, de sensibilisation à la musique, un lieu profondément inspirant pour le public comme pour les professionnels.
Concert final Résidence Voix, Hôtel Maynier d’Oppède, Aix-en-Provence, 9 juillet, 21h