Des racines à la nature, la rythmique Jaques-Dalcroze poursuit son évolution

A la rencontre d’Hélène Nicolet, nouvelle directrice de l’Institut Jaques-Dalcroze (IJD) depuis le 15 août 2023, succédant à Silvia Del Bianco, nous avons récolté les graines et plantations futures de sa ligne directrice. Nous avons abordé les thématiques événementielles actuelles et futures de l’Institut, ses principes pédagogiques, ainsi que les liens entre la pensée dalcrozienne et le management.

Sur l’escalier conçu par Adolphe Appia, à l’Institut Jaques-Dalcroze. L’intelligence collective au service du management d’Hélène Nicolet, via le cordon relié à travers les membres du corps professoral et administratif, dont une partie figure ici. Hélène Nicolet tient les amarres du paquebot… Photo : M.-L. de Beausacq

Dans le passé, et encore aujourd’hui dans la perception de néophytes en la matière, la pédagogie Jaques-Dalcroze a été victime de stéréotypes et sa « recette pédagogique » était regrettablement enfermée dans une « boîte noire », métaphore d’un fonctionnement interne inaccessible. La rythmique pouvait alors souffrir, malgré son esprit novateur, adaptable à de nombreux domaines, d’une image réductrice de « danse rythmique », qui est bien un de ses fondements. Pourtant, au cœur des approches pédagogiques transversales de Jaques-Dalcroze règne une science savante, aux qualités socialisantes multiples qui permettent l’harmonie entre le corps et l’esprit. Marie-Laure Bachmann, autrefois directrice de l’Institut, écrivait dans Une éducation par la musique et pour la musique : « Pour Jaques-Dalcroze […] c’est l’Homme qui compte […] il s’agit de mettre l’individu en possession de tous ses moyens d’agir et de réagir. Il faut qu’il soit en mesure de faire face à toutes les situations ; qu’il puisse choisir dans l’éventail de ses possibilités celle qui lui paraît le mieux convenir. »

Quelle relation entre la rythmique et le management ?

La rythmique est une science qui active notamment les facultés d’adaptation, d’incitation-inhibition, de réaction (question-réponse), de créativité, et de collaboration, essentielles au développement cognitif, à la sensibilité nerveuse, ce qui engendre une régulation émotive de l’enfant et de l’adulte dans ses facultés sociales. Hélène Nicolet explique : « Le sens de la collaboration et de l’adaptation est un élément central de la pédagogie Jaques-Dalcroze à travers l’improvisation, la réaction sensorielle et corporelle, l’écoute, etc. Aujourd’hui, les musiciennes et musiciens professionnels doivent être polyvalents, mobiles, flexibles, car les arts sont de plus en plus orientés vers la pluridisciplinarité. L’artiste doit posséder le sens de l’adaptation, de la mobilité, de l’innovation, qui sont les aspects fondamentaux de notre éducation musicale, notamment via l’improvisation de groupe. Notre collaboration avec le département musique et mouvement de la Haute école de musique va dans le sens de cette recherche pédagogique au service des musiciennes et musiciens professionnels et/ou futurs pédagogues. Au regard de mon rôle de directrice et du management, je ne prétends pas maîtriser tous ces principes, mais je tente de générer cette collaboration créative via l’intelligence collective, démarche éminemment dalcrozienne. La flexibilité et l’ouverture des collaborateurs et collaboratrices sont des qualités inhérentes à la formation de rythmique et sont de grands atouts pour le travail en équipe, y compris dans les moments intenses liés à l’organisation d’événements, de brainstorming et au service de l’interaction ». C’est aussi dans cette posture qu’Hélène Nicolet s’investit au sein de la Confédération des écoles genevoises de musique (CEGM) en tant que coordinatrice du conseil des onze écoles associées.

 Relier culture, nature et pédagogie démocratique

La boîte noire n’est donc plus si mystérieuse, et c’est désormais dans la « boîte à outils » d’Hélène Nicolet que règne l’approche culturelle d’un enseignement via des activités extra-muros ouvertes à tous et toutes. Elle explique : « La nature est un leitmotiv qui inspire les prestations de nos élèves depuis quelques années : relier culture, pédagogie, nature et accès démocratique à la rythmique et à la musique est capital. La relation avec la nature répond aujourd’hui à une réalité sociale et politique importante. De plus, c’est une thématique fondamentale de la rythmique : Emile Jaques-Dalcroze a été précurseur de la relation entre écoute des sons et nature » A noter aussi que les principes philosophiques de l’union du corps et de l’esprit ont été un sujet de prédilection durant sa formation musicale, contre l’idée de la séparation du corps et de l’esprit de certains penseurs. « Dans notre ‹agenda événements 100 % famille›, des partenariats artistiques avec des institutions ou des artistes invités sont régulièrement programmés, depuis l’impulsion du centenaire de notre Institut en 2015. L’offre de spectacles ou performances pour petits et grands publics est également populaire. Les activités transgénérationnelles rencontrent un grand succès et amplifient les liens familiaux via des activités hors du quotidien, telles que les ateliers de danse en famille de 0 à 99 ans, ou par exemple à l’écoute des chants d’oiseaux dans la nature. En outre, l’improvisation est un moyen d’expression qui stimule la capacité de construire à partir d’éléments à notre portée directe. Cette pratique sera d’ailleurs centrale lors de nos futurs événements et spectacles, amorcée avec les vœux pour 2024 : ‹L’impro à corps et à cœur›. Cette ligne a lancé la thématique de l’improvisation ouverte à tous publics dans cette optique, l’Institut Jaques-Dalcroze propose également une offre de cours en cursus libre (sans examens), et un secteur intitulé Piano improvisation collectif (PIC). Stimuler le sens artistique des élèves et construire selon leur apport en les guidant est au centre de nos démarches. Avec les équipes, j’essaye d’appliquer ces approches tout en décidant de la direction que je vais prendre. Cela demande une forte implication de la part des acteurs et actrices de l’institution. »

Perspectives futures et recherche scientifique

L’intégration de la recherche scientifique dans l’enseignement de la rythmique est nécessaire et fondamentale pour l’avenir. L’institut Jaques-Dalcroze étant le centre international de la méthode, il se doit d’être un laboratoire d’expertise. Les activités développées avec les recherches scientifiques menées en collaboration avec les HUG (Hôpitaux universitaires de Genève) favorisent l’innovation en ouvrant de nouveaux champs d’application. L’IJD s’attache à développer son offre à l’intention d’un public de plus en plus diversifié. Ainsi, le département Rythmique et santé, inauguré en 2022, se décline en quatre volets : rythmique au service de seniors, de la santé, des personnes en situation de handicap et de l’intégration. Dans le même ordre d’idée, des cours pour mères et enfants sont donnés en collaboration avec l’AMIC (Association de Médiatrices Interculturelles) ; d’autres sont destinés aux enfants sourds et malentendants (avec le CCS), ou aux enfants aveugles et malvoyants (avec le CPHV à Lausanne). « La prochaine étude scientifique que je désire mettre en œuvre valorisera l’apport de l’apprentissage musical sur le développement cognitif de l’enfant et l’intérêt de l’apprentissage par le mouvement », conclut Hélène Nicolet. Nous citerons encore Jaques-Dacroze, précurseur d’un questionnement continu, au fil du temps, sur la pédagogie : « Aucune évolution, aucun progrès ne peut s’accomplir sans le secours de la jeunesse ! »

 

www.dalcroze.ch

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